LES ARBRES ET LA FORÊTSur la forêt, à l'occasion de la journée du 31 juillet 2010, Assemblée Générale de la SAFT, repas et promenade, exposition de Jean-Yves Bourgain
Le joli livre de Jean-Yves Bourgain et d'Yves Le Jean, publié par la SAFT, suscite ces quelques réflexions. Nous y trouvons la présentation picturale et littéraire, historique et technique, de quarante arbres remarquables à Tronçais. L'effort pour individualiser les arbres les plus notables, dans des genres très différents, se traduit par le fait de leur donner un nom, et ce depuis quelques générations. Mais ce repérage suppose un milieu commun, un monde partagé, le monde de la forêt, dans son ampleur et sa diversité. Nous fêterons dans deux ans le centenaire de la notice descriptive et historique sur La Forêt de Tronçais de Jacques Chevalier, qui répondait à la sollicitation du congrès de Montluçon sur L'Arbre et l'eau. Il avait compris l'importance de faire valoir la singularité de cette forêt, qu'il appelait « sa forêt »; avant qu'on parle de patrimoine, il en savait le sens. Il mourut quand j'avais dix-huit ans, me fit sa dernière dédicace du premier tome de son Histoire de la pensée (La pensée antique); mais il m'avait communiqué comme savoir principal le caractère exceptionnel de cette forêt qui nous était familière. Pour dire en peu de mots mon sentiment intérieur, j'insisterai sur le fait que ce qui impressionne à Tronçais, c'est la masse imposante des arbres élevés serrés les uns à côté des autres : on entre dans un autre monde, celui de la Forêt avec un grand F. Une sensation de sérénité et de force envahit le promeneur, qui admire et bientôt se passionne. La force de la forêt est une force sereine, pacifique et pacifiante; elle inspire confiance, écarte toute violence. Mais cette forêt qui nous touche au coeur est le fruit des efforts renouvelés de l'homme. Elle est mise en valeur par le travail d'exploitation, travail d'une grande continuité à travers les siècles. Les décisions techniques sont souvent faites de rupture; la technique ignore le temps long; il faut sans cesse renouveler les modèles de voiture. On ne change pas le modèle des chênes sessiles de Tronçais. On travaille à les valoriser, à favoriser leur développement, à les vendre pour une utilisation la plus noble possible. Actuellement, je vis à Lusignan en Poitou, près d'une forêt atlantique, celle de Saint-Sauvent, forêt où le chêne domine. Mais, malgré la hauteur des chênes, elle n'a aucun prestige comparable à celui de Tronçais ; ayant beaucoup souffert sur sa façade ouest de la tempête de Noël 1999, elle est aujourd'hui l'objet d'un abattage systématique, sans aucun émoi des populations environnantes. Aucune association ne s'élève pour la protection de cette forêt. À Tronçais, au contraire, le paysage, la célébrité du lieu, son histoire, la qualité des arbres, ont provoqué un intérêt et une attention singulièrement aigus. On craint, en voyant les coupes pratiquées dernièrement que le paysage de Tronçais ne devienne un paysage onirique, voire fantomatique : de grands arbres clairsemés lancent leurs branches vers le ciel pour l'implorer de ne pas être abattus à leur tour. C'est là ce que Jean-Yves Bourgain nous donne à voir dans ses oeuvres sur les arbres de la forêt : des arbres isolés, exceptionnels, étendant leurs réseaux de branches arachnéennes sur un fond de ciel. Les textes précis et simples d'Yves Le Jean sont une source exemplaire de renseignements historiques et biologiques. Mais l'arbre ne doit pas cacher la forêt. La forêt est une puissance végétale domestiquée par l'homme. Elle est de plus un lieu de circulation pour les hommes, à la différence de la forêt canadienne, forêt plantée, mais impénétrable, sinon par les bull-dozer. Mais ce qui caractérise avant tout Tronçais – ce que tout le monde reconnaît, doit reconnaître, ou reconnaîtra – c'est d'être une exception. Une forêt qui ne ressemble à aucune autre, plus belle, plus harmonieuse que toutes les autres. Qui dit exception dit élite. Tronçais est l'élite des forêts, elle nous pose la question générale : la France doit-elle continuer à sacrifier ses élites sur l'autel de la démagogie égalitariste ? Quand il s'agit des hommes, il n'est pas facile de sélectionner de vraies élites, en dehors de l'athlétisme et des disciplines physiques. Les examens et concours doivent être mûrement équilibrés pour viser juste. Mais à Tronçais, la sélection a été faite par la nature elle-même. L'exploitant, aujourd'hui l'ONF, a pour mission d'accompagner le labeur élitaire de la nature. Ce n'est pas l'homme tout seul qui est responsable de la qualité des grands terroirs de vin ; le viticulteur reste modeste, car il sait que tout dépend en fin de compte des circonstances climatiques. Face à la forêt, l'homme est rendu plus modeste encore par la force naturelle, même à l'âge de la technique triomphante et de sa frénésie d'innovation. Il faut travailler à l'échelle de plusieurs générations. La forêt ne doit ni ne peut être une occasion de luttes fratricides; elle n'est vraiment elle-même que comme une leçon de paix. Si l'homme ne s'acharne pas à la saccager, la forêt est aussi un message de respect de la nature. Jean-Louis Vieillard-Baron, 1er août 2010. |
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